Thibaut Démare

Du rêve américain à la réalité

Après avoir vu ce film, j’ai voulu aller faire un tour comme je le fais souvent du côté des critiques et des notes qu’il avait pu obtenir. Mais force est de constater que je ne me retrouve pas nécessairement dans celles-ci. Avec un 5.8 de moyenne sur SensCritique à l’heure où j’écris ces lignes, on ne peut pas dire que le film ait réellement plu. Bien sûr je comprend certains reproches qu’on peut lui faire. Certes, la mise en scène est souvent assez convenue. Le jeu d’acteur est peut être parfois inégal… Mais par contre, j’ai pu lire par ci par là quelques critiques sur le scénario qui m’ont poussées à rédiger ma première critique sur ce site pour y proposer ma modeste analyse que voici.

Introduction

“Bienvenue à Suburbicon” commence en nous présentant une charmante ville prospère des États-Unis. De belles maisons colorées et bien ordonnées sont prêtes à accueillir les nouveaux arrivants qui pourront contribuer à l’épanouissement économique de cette ville récente. En fait, on nous présente tout simplement le rêve américain : un endroit où n’importe qui, pourvu qu’il soit honnête, travailleur et qui adhère aux valeurs américaines, pourra s’émanciper, fonder une famille modèle, et pourquoi pas devenir riche et être respecter. L’introduction nous apprend d’ailleurs que les habitants viennent des quatre coins des États-Unis, et que tout le monde y est le bienvenue. Tout le monde? Vraiment?

Dans la suite de cette critique, il y a de nombreux spoilers. À vous de voir si vous souhaitez continuer la lecture ;)

Les apparences

En fait, le film va nous raconter deux histoires qui vont paraître de prime abord comme détachée l’une de l’autre, mais qui vont présenter une forme de symétrie, et c’est justement là tout l’intérêt du film.

En effet, on a d’un côté l’histoire principale, celle qui va prendre le plus de temps à l’écran et qui nous montre l’histoire de la famille Lodge installée dans la ville depuis plusieurs années et qui est appréciée et respectée par son entourage. Cette famille a tous les critères de la famille modèle américaine. Le père (Gardner joué par Matt Damon) occupe un bon poste dans une grande société de la ville. La mère (Rose jouée par Juliane Moore), handicapée, semble bien entourée et supportée par sa famille, dont sa sœur jumelle (Maggie, jouée aussi par Juliane Moore si vous suivez). Et le fils (Nicky joué par un jeune Noah Jupe) est aimé et protégé par toute la famille. Tout le monde est croyant/pratiquant, bien habillé, bien coiffé, poli à souhait avec tout le monde, et occupe la place qu’il se doit pour l’époque (comprendre, la femme est mère au foyer, s’occupe des courses, fais à manger et le ménage pendant que le père travaille pour ramener l’argent parce que le rêve américain est misogyne).

De l’autre côté, on nous raconte l’histoire de la famille “Mayers” qui vient tout juste d’emménager et qui va chercher à s’intégrer. Eux aussi ont tout de la famille modèle, à un détail près : ce sont les premiers noirs à s’installer dans la ville. Du coup, cette deuxième famille va se heurter à un racisme de plus en plus violent. Tout au long du film, on va entendre de nombreux témoignages des habitants qui vont expliquer à force d’arguments percutants et raisonnés (s’étrangle intérieurement en écrivant ces mots) pourquoi des noirs ne pourront jamais s’intégrer, qu’ils seront à coup sûr source de perturbations dans le quotidien de tous, et surtout qu’ils doivent “évoluer” et “s’élever à la hauteur de l’Homme blanc” avant de pouvoir être acceptés.

La réalité de la “famille modèle”

Assez rapidement dans le film, Gardner vient chercher son fils dans sa chambre et on découvre que deux mafieux sont dans la maison et s’apprête à les voler. Ça finit par déraper, et la mère se trouve tuer. Cette tragédie va d’abord être un argument supplémentaire de la part de la communauté et contre la famille noire car il ne s’était jamais produit de tels événements avant leur arrivée. Pourtant, par la suite, on va se rendre compte que Gardner et Maggie ne sont pas complétement blanc comme neige dans cette histoire, car ils vont délibérément innocenter les responsables du meurtre de Rose lors d’un passage au commissariat (attention, un jeu de mot s’est peut être caché dans cette phrase) . De là, le scénario et la mise en scène va progressivement nous montrer ces deux protagonistes sous un jour différent. On apprend que Gardner avait contracté des dettes auprès des mafieux pour lancer sa propre affaire, mais suite à son échec, était incapable de les rembourser. De plus, il nourrissait une idylle cachée avec Maggie (qui va d’ailleurs prendre très rapidement la place de sa sœur au sein de la famille). Le film ira d’ailleurs nous présenter une scène dans laquelle Nicky découvre son père en train de donner des fessés à sa tante Maggie dans la cave de la maison (suffisamment violentes pour que le gosse pense à une agression), dans une ambiance bien loin des mœurs puritains des États-Unis. Gardner et Maggie ont donc fomenté le meurtre de Rose pour toucher l’assurance vie, rembourser les mafieux et partir ensemble à l’étranger dans un pays chaud. Ainsi, au début du film, Gardner passe pour un père modèle, un mec aux allures sympa, mais progressivement le spectateur comprend qu’en fait c’est un enfoiré égoïste près à tout (y compris à tuer son propre fils). Mais seul le spectateur comprend cela, car en réalité, tout cela s’est produit à l’abri des regards. Gardner fait d’ailleurs très attention à ce que les rideaux de la maison restent fermés lorsque l’agent d’assurance leur rend visite. Il ne faudrait pas que l’on comprenne qui ils sont vraiment (et cela à n’importe quel prix). En ce qui concerne la famille Lodge, les apparences sont sauves, et ils continueront à être respecté par la communauté tout le long du film.

Hypocrisie de la société

En réalité, l’histoire de la famille Lodge est là pour nous montrer toute l’hypocrisie de cette société américaine en la mettant en opposition avec l’histoire de la famille Mayers. La famille Lodge est perçue par sa communauté comme des gens biens sous tout rapport, mais on a a vu que la réalité est tout autre, alors que dans le même temps, la famille Mayers est systématiquement rejetée, mise à l’écart. En fait, à mesure qu’on découvre la noirceur qui se cache derrière les apparences de la famille Lodge, la violence envers la famille Mayers augmente graduellement. Cette violence ne va d’ailleurs s’arrêter que lorsque tous les membres corrompus de la famille Lodge seront morts. Les Mayers vont donc s’en prendre plein la tronche tout le long du film car ils sont très mal perçus par cette même communauté qui respecte les Lodge. Pourtant ils ne vont jamais chercher à rétorquer ou même à se venger. Ils vont toujours se montrer droit dans leurs bottes, et vont garder un self-contrôle que peu de personne serait capable de conserver dans pareil situation. Ainsi, contrairement aux Lodge, les Mayers n’ont pas les apparences pour eux, mais intérieurement, ils se montrent irréprochables.

Finalement, le spectateur comprendra que ce sont bien eux les plus évolués et civilisés de tous. Mais malheureusement, la société au sein du film ne comprendra jamais cela car le film se termine sur une vision assez pessimiste. D’une part, même si la violence s’est calmée, les témoignages contre la famille noire continuent. D’autre part, on voit Nicky dans sa maison, tout les membres de sa famille sont morts, et personne ne s’est encore rendu compte de ce qu’il s’est passé. Il finira par sortir pour aller jouer avec son voisin, le fils de la famille Mayers, sans que personne encore ne soit au courant de la tragédie qui a eu lieu chez lui. Tout les événements concernant la famille Lodge se sont produits à l’abri des regards. Les apparences sont sauves pour eux. Mais la famille Mayers va encore probablement subir le racisme de ses voisins. Il n’y a pas eu de véritable prise de conscience. Seuls quelques voisins, qui se sentent peut être coupables, vont venir les aider. C’est peut être le seul rayon d’espoir qui subsiste car au fond on sent bien que les Mayers ne pourront jamais réellement atteindre le rêve américain. Celui-ci n’est qu’une hypocrisie, qui n’est accessible qu’à ceux qui ont les apparences en leur faveur…

Conclusion

Ce film est donc une satire assez bien écrite de la société américaine, du rêve américain et de l’hypocrisie qui entoure tout cela. Même si l’histoire se passe dans les années 50, elle reste encore d’actualité vu les problèmes qu’on peut encore rencontrer aux États-Unis. Les frères Cohen ont fait du bon boulot au niveau de l’écriture selon moi. Et même si le travail de Clooney manque parfois de créativité, d’originalité ou d’envergure, le film est loin d’être aussi mauvais qu’on pourrait le penser en regardant les notes.

Publié initialement sur SensCritique le .